Les 9 et 10 février, des forces de sécurité sénégalaises ont tué trois personnes, dont un adolescent de 16 ans, et ont procédé à des centaines d’arrestations dans le cadre d’une violente répression contre les manifestant·e·s à Saint-Louis, Dakar et Ziguinchor, alors que de nombreux citoyen·ne·s protestaient contre le report de l’élection présidentielle, a déclaré Amnesty International le 13 février 2024.
Les témoignages recueillis auprès de proches de victimes, de témoins oculaires et de journalistes couvrant les événements pointent l’escalade de la répression et de la brutalité à l’encontre des manifestant·e·s.
Les autorités sénégalaises continuent de faire montre d’un mépris flagrant pour la dissidence pacifique. Elles doivent mener dans les meilleurs délais une enquête approfondie, indépendante, impartiale, transparente et efficace sur l’usage meurtrier de la force à l’encontre des manifestant·e·s, notamment sur l’homicide de trois personnes au cours du week-end
Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International
« Les autorités sénégalaises continuent de faire montre d’un mépris flagrant pour la dissidence pacifique. Elles doivent mener dans les meilleurs délais une enquête approfondie, indépendante, impartiale, transparente et efficace sur l’usage meurtrier de la force à l’encontre des manifestant·e·s, notamment sur l’homicide de trois personnes au cours du week-end, a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International.
« Les autorités doivent veiller à ce que les responsables présumés soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables et à ce que les victimes et leurs familles aient accès à la justice et à des voies de recours efficaces.
« En outre, le Parlement doit modifier la législation sénégalaise sur l’usage d’armes à feu par les policiers, qui est obsolète et ne reflète pas les obligations prises par le pays au titre du droit international relatif aux droits humains de respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
« Enfin, il faut libérer immédiatement et sans condition toute personne détenue uniquement pour avoir exercé sans violence ses droits. »
Usage meurtrier de la force
Depuis le 4 février 2024, des policiers ont procédé à une vague inquiétante d’arrestations, encerclant les manifestant·e·s et réprimant les rassemblements avec violence.
Alpha Yoro Tounkara, étudiant en géographie de 22 ans à l’Université Gaston Berger, a été tué à Saint-Louis le 9 février lorsque des policiers ont empêché les étudiants rassemblés d’entrer dans le centre-ville depuis leur campus. Un étudiant, qui manifestait avec Alpha Yoro, a déclaré à Amnesty International :
« Nous avons décidé de descendre dans la rue, mais rapidement, ils [les policiers] ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour nous disperser. Alpha a été touché sous l’aisselle et est tombé à terre. Nous l’avons conduit à l’hôpital, mais peu après, son décès a été prononcé. »
Nous avons décidé de descendre dans la rue, mais rapidement, ils [les policiers] ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour nous disperser. Alpha a été touché sous l’aisselle et est tombé à terre. Nous l’avons conduit à l’hôpital, mais peu après, son décès a été prononcé.
Alpha Yoro, témoin
Modou Gueye, un marchand ambulant de 23 ans habitant à Guinaw-Rails est une autre victime de l’usage de la force meurtrière par la police. Il a été touché par une balle alors qu’il essayait de récupérer ses marchandises à Colobane. Son frère, Dame Gueye, a déclaré à Amnesty International :
« Modou a été touché au ventre par un homme portant un uniforme bleu. Ils étaient nombreux dans le groupe et la seule chose à laquelle je pensais, c’était de sortir Modou de là. Nous avons réussi à le conduire à l’hôpital… Il a été déclaré mort [le lendemain]. »
Amnesty International est en possession du certificat de décès de Modou Gueye, qui indique que la cause de la mort est « un traumatisme thoraco-abdominal par arme à feu avec éclatement du foie ayant entraîné un choc hémorragique réfractaire ».
Le 10 février, un manifestant âgé de 16 ans, Landing Camara, a été touché à la tête par un tir des forces de sécurité à Grand-Dakar, Ziguinchor. Moktar*, qui représente la famille de Landing Camara, a déclaré :
« Nous étions tous à la maison lorsque la police a tiré des gaz lacrymogènes. La fumée a envahi nos maisons, ce qui a contraint les enfants, y compris Landing, à fuir dehors. Mais les policiers tiraient et ils ont touché Landing au front et un autre enfant de notre bâtiment à la jambe. Nous avons réussi à conduire Landing à l’hôpital ; il était grièvement blessé et le personnel médical a tergiversé quant à la marche à suivre. Il a été mort 15 minutes après avoir été transféré à l’unité de soins intensifs. Il aurait eu 17 ans en mars prochain. »
Attaques visant des journalistes
Dans une vidéo analysée par Amnesty International, on peut voir des policiers lors des manifestations s’en prendre violemment à des manifestant·e·s pacifiques et tirer des gaz lacrymogènes sur des journalistes.
Mor Amar, journaliste à L’Enquête Daily, et secrétaire général de la Convention des jeunes reporters du Sénégal (CJRS), compte parmi les victimes des violences policières du 9 février. Il a déclaré :
« Les manifestations n’avaient pas encore débuté, mais les policiers sont venus vers nous et nous ont dit de partir. Certains d’entre nous portaient des vestes avec l’inscription “Presse”, d’autres non, mais nous avons décidé de changer d’endroit pour éviter tout problème inutile. Puis, l’un des policiers a tiré une grenade lacrymogène qui n’a pas explosé en direction de notre groupe. Absa Hane, l’une des journalistes du groupe, a dit aux policiers qu’ils n’avaient pas besoin de tirer des gaz lacrymogènes sur nous alors que nous partions. L’un d’entre eux a tenté d’éloigner Absa à part. Comme je m’y suis opposé, ils ont commencé à me donner des coups et j’ai été frappé à la mâchoire et à la tête. Ils ont réussi à arrêter Absa et l’ont fait monter dans leur voiture. »
Absa Hane, journaliste à Seneweb, a raconté à Amnesty International : « Dans la voiture, ils m’ont giflée et frappée violemment sur la tête et la nuque. Je leur ai montré ma carte de presse et je leur ai dit que je souffrais d’une maladie chronique, mais ils ont continué à me frapper. Je me suis évanouie et je n’ai repris connaissance que plus tard, une fois dans notre voiture de presse. J’ai été emmenée à l’hôpital, et relâchée vers 22 heures. »
Dans la voiture, ils m’ont giflée et frappée violemment sur la tête et la nuque. Je leur ai montré ma carte de presse et je leur ai dit que je souffrais d’une maladie chronique, mais ils ont continué à me frapper.
Absa Hane, journaliste, Seneweb
Mor Amar et Absa Hane ne sont pas les seuls : des journalistes de Leral TV ont également été la cible de la force excessive employée par les policiers.
Cette violente répression montre jusqu’où les autorités sénégalaises sont prêtes à aller pour étouffer la liberté de la presse et les droits humains. Elles doivent maintenant diligenter dans les meilleurs délais une enquête approfondie, impartiale, indépendante, transparente et efficace sur ces agressions et traduire en justice tous les responsables présumés
Seydi Gassama, directeur d’Amnesty International Sénégal
« Cette violente répression montre jusqu’où les autorités sénégalaises sont prêtes à aller pour étouffer la liberté de la presse et les droits humains. Elles doivent maintenant diligenter dans les meilleurs délais une enquête approfondie, impartiale, indépendante, transparente et efficace sur ces agressions et traduire en justice tous les responsables présumés », a déclaré Seydi Gassama, directeur d’Amnesty International Sénégal.
Complément d’information
Le 3 février 2024, le président sénégalais, Macky Sall, a annoncé la suspension de l’élection présidentielle. L’opposition politique a rejeté cette suspension et appelé à manifester.
Répression des manifestations, coupures d’Internet et menaces visant les médias se multiplient au Sénégal depuis mars 2021. Amnesty International estime qu’au moins 60 personnes sont mortes en marge des manifestations. À ce jour, personne ne fait l’objet de poursuite pour ces faits.
Le Sénégal a l’obligation de respecter, de protéger, de promouvoir et de réaliser les droits humains de tous, y compris les droits à la liberté d’expression, d’information et de réunion pacifique, garantis par les articles 9 et 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auxquels le Sénégal est partie.